Réunion Buse #1 : Ce que nous avons, ce que nous voulons

03/12/2020

reunion publique
syndicats
Le 3 décembre 2020, La Buse a organisé une rencontre en ligne entre travailleur⋅euses de l'art. La vidéo est ici, mais si vous préférez lire, voici le compte rendu.

Déroulé :

* Tour des aides de l'État en direction des artiste-auteur·rices (SNAPcgt) ;
* Retour sur expérience de situations spécifiques avec : 
les vacataires de Paris-Musées, les précaires de la BPI
, les installateur·rices d'expositions (L'œuvrière), 
les médiateur·rices de Beaubourg (Caroline Sébilleau), les membres artistes de jury, notamment au CNAP (Laure Vigna et Stéphanie Collonvillé) ;
* Expérience d'auto-organisation :
 les dispositifs de mutualisation (description de la création d'un fonds autogéré et redistributif, infos sur Octopus, SCOP en cours de création par des travailleur·euses en régie et production).

1) Les aides en directions des artistes-auteur·rices

Guillaume Lanneau du SNAPcgt présente 4 dispositifs d'aides en direction des artistes-auteur·ices :

- Le fond TPE ministère des Finances plafonné actuellement à 10 000 euros non cumulables avec les pensions de retraite et les indemnités journalières. Il faut en faire la demande directement sur son espace personnel sur le site des impôts via la messagerie. 6000 artistes-auteur·rices en ont bénéficié, soit 2 % des 265 000 artistes-auteur·rices inscrit·es à la MDA et à l'Agessa.
- Les aides de la Région en cas d'interdiction de recevoir du public ou fermetures administratives. Il faut justifier d'avoir des dates annulées. Il ne peut être obtenu qu'une seule fois.
- La garantie de 900 euros/mois pour les intérimaires inscrit·es à Pôle emploi peuvant justifier de 60 % de temps d'emploi en 2019.
- Les 2 fonds du Ministère de la culture dont le secours exceptionnel du CNAP forfaitaire de 1500 euros soumis à des conditions de ressources. NOTE : ce fonds de secours était d’un montant forfaitaire initial de 1000 euros. Il vient d’être porté à 1500 euros. D’autre part, ce fond a été abondé par l’État, mais aussi pour moitié par les OGC (SAIF, ADAGP) via le quart copie privée. Il s’agit d’argent d’auteur⋅es socialisé vers des auteur⋅es. Pour 2021, les OGC ont été questionnées par le ministère pour continuer. L'aide spéciale d'un montant maximum de 2500 euros qui ne peut être obtenue qu'une seule fois, conditionnée à une annulation. 1500 artistes-auteur·ices l'ont reçue. Cette mesure d'aide est close.
Toutes ces infos sont disponible sur le compte FB du SNAPcgt.

2) Les différents secteurs en luttes et leurs conditions

Aurélie et Cécile de l'association l'Œuvrière (https://installateurs-oeuvres-art.blogspot.com/) :
Le métier d'installateur·rice d'œuvres d'art n'est pas reconnu. En l’absence d’un statut dédié, différents modes de facturation et rémunération sont utilisés (autoentrepreneur·euse, MDA, intermittence, régime général). Il est nécessaire et urgent de créer un statut, une convention collective et d’endiguer le recours aux prestataires. L'association se rapproche du CIPAC afin de travailler de concert avec les différents acteurs du monde de l’art contemporain et de pouvoir prendre part aux négociations engagées par le CIPAC avec le gouvernement.
Depuis le ralentissement lié à la crise du Covid-19 qui a isolé les travailleur⋅euses et réduit les perspectives d’emploi, la reprise semble très hasardeuse. L’association demande une réévaluation de l'état de la culture en 2021. L’année blanche des intermittent·es n'est pas une année blanche mais bien une année sans travail pour tous les techniciens de l’exposition. Les aides fournies aux travailleur⋅euses du régime général, du régime des intermittent⋅es et aux indépendant⋅es décroissent. Elles doivent à minima être maintenues à leur taux initial tant que les lieux d’exposition seront fermés et que l’activité n’aura pas repris.

Stéphanie Collonvillé (SNAPcgt) prend la parole pour faire le point sur les membres de jury de commissions qui ne sont pas rémunéré·es. Laure Vigna, dans la même situation pour le jury du fond de secours du CNAP, est excusée car elle ne peut pas être présente ce soir mais nous fait savoir qu'une lettre est actuellement rédigée et signée par les associations représentatives des artistes-auteur·rices afin d'alerter le ministère de la Culture et de faire passer un décret permettant de rémunérer les membres des jury qui ne sont pas salarié·es. Béatrice Salmon, la directrice du CNAP, en a fait la promesse et a obtenu exceptionnellement en mars lors du premier confinement que les membres du jury qui sont indépendant·es soient rémunéré·es. Cela pose la question de la corruption et c'est aussi très problématique car on ne peut pas être à la fois membre du jury et candidat·e à l'aide. Il y a un sentiment de solitude face à l'institution, de manque d'écoute face à ce problème. Les société d'auteurs ont abondé les fonds du ministère de la Culture mais n'ont pas la possibilité de connaître la traçabilité des fonds. Pierre Garçon de la SAIF fait savoir que celle-ci demande que le membres du jury indépendant·es soient rémunéré⋅es. Stéphanie ajoute que ces conditions de travail peu engageantes ne motivent pas les artistes-auteur·rices à se porter volontaires pour participer à des jurys alors que c'est essentiel afin d'élever le débat au-dessus du classique « j'aime/j'aime pas ».

Marie-Amélie prend la parole pour évoquer la conditions des vacataires de Paris-Musées. Paris-Musées ce sont 12 musées et 2 sites. Il n'y a pas de dispositifs prévus pour aider financièrement en cette période de crise sanitaire, les vacataires en surveillance et billetterie sont exclu·es des dispositifs. C'est très difficile d'obtenir des indemnités de Pôle emploi du fait du nombre d'heures travaillées qui reste faible et des délais pour obtenir les attestations de fin de contrat. Comme lors du premier confinement, les vacataires en poste ont été payé·e·s, mais pas celles et ceux qui avaient signé leur arrêté sans avoir pris leur poste. Les budgets des expos sont bouclés depuis longtemps et on pourrait croire que la crise ne devrait pas influer sur la rémunération des vacataires mais iels sont en réalité rattaché·es aux expositions temporaires. La solution est solidaire : la caisse de grève. C'est la Ville de Paris qui doit être interpellée. Le nettoyage est sous-traité à la Ville et dans les musées. Les agents ont été mobilisé·es ou placé·es en chômage partiel, avec des problèmes de paiement des primes et de calcul du salaire pour le chômage partiel, etc. Paris-Musées a maintenu la paie des conférencier·es, mais ils ne sont pas à temps complet donc dépendent de revenus complémentaires. Certain·es ont bénéficié du développement des "conférences virtuelles", d'autres qui sont plus dépendant·es des conférences privées ont vu leur situation se dégrader. Par ailleurs, les ICM faisaient partie du plan d'aide de la Ville mais on ne sait pas comment elles ont été réparties, dans les faits.... Lors de ce confinement-ci, Paris Musées voulait envoyer les conférencier·es faire des conférences en EHPAD. Cela ne s'est pas fait pour des raisons sanitaires mais c'est très illustratif d'une pente générale prise par les établissements publics. Un participant note qu'il y a eu un secours exceptionnel de l'URSSAF en novembre de 1000 euros, dont peu d'entre nous ont eu connaissance.
Un participant à la réunion avait évoqué le dispositif spécifique pour les intérimaires, se demandant s'il pouvait être étendu aux vacataires : à notre connaissance ce n'est pas le cas, la vacation étant spécifique à la fonction publique.

Chiara et Ugo prennent la parole pour las « vacataires » de la BPI. Leur statut véritable est contractuel⋅les et ce depuis 1977. En 2000, le contrat était de 5 mois et il n'était pas possible de le renouveler. Iels sont considéré·es comme des intermittent·es de l'emploi alors qu'il s'agit d'un emploi permanent. La recommandation ministérielle d'embaucher en CDI n'est pas appliquée par la BPI. Certain·es titulaires soutiennent les contractuels et suivent les mouvements de grève. Catherine qui est titulaire intervient pour affirmer son soutien aux vacataires et précise que sans leur travail la BPI n'ouvre pas. Aujourd'hui, le contrat est de 9 mois pour un travail de service public et de bureau qui devrait être considéré comme un CDI. Le délai de carence entre deux contrats est de 2 ans.
Entre deux contrats iels travaillent ailleurs. Ça concerne tous les contractuel·les d'accueil, rangement et bulletinage. Le nombre d'heures est aussi très peu élevé, iels jonglent avec un autre emploi. La direction évoque la précarisation du CDI et le fait d'embaucher des étudiant⋅es afin de ne pas modifier les conditions d'embauche : « Les postes sont tellement pourris qu'on ne va pas en faire des CDI ». La lutte est commune avec d'autres bibliothécaires. Les contrats s'arrêtent pendant les congés d'été dans les universités. La rhétorique de l'aide aux étudiant⋅es est hypocrite : « C'est dire qu'on aide les étudiant·es mais les planter ». Les salaires sont différés. La bibliothèque Sainte-Barbe à Paris est aussi très mobilisée, le confinement a été déclencheur d'une prise de conscience.
Témoignage du public : « Ce qui est arrivé aussi c'est qu'il y avait des festivals qui annulent et disent qu'ils reportent et alors qu'en fait c'est de l'annulation pure et simple. Ils disent qu'ils reportent l'année d'après, mais on a aucune garantie ni aucune indemnité, nous les artistes plasticiens (Toulouse) tandis que d'autres structures (centre d'art) ont fait des conventions avec tous les cas particuliers (annulation et ou report) et ont fait très correctement leur contrat, avec des articles clairs en cas d'annulation avec des taux d'indemnités, etc. »

Caroline Sébilleau prend la parole pour les animateur·rices/conférencier·es de Beaubourg. Iels bénéficient d'une autorisation spéciale d'absence qui est rémunérée mais les heures de retard sont dues au Centre Pompidou et il faudra les rembourser si elles ne sont pas effectuées. Le musée propose aux conférencier·es de faire des ateliers en dehors du centre ou de faire une médiation orale mais certain·es sont à l'aise à l'oral mais pas à l'écrit. Il est demandé une flexibilité, une adaptation afin d'être dans la continuité d'une « rentabilité ». Le centre donne l'impression de ne pas vouloir « payer pour rien ».
L'Autorisation Spéciale d'Absence n'a pas été renouvelée pour le deuxième confinement, ce qui fait que contrairement au premier, nos heures mensuelles ne sont pas comptées comme travaillées.
Il y a eu un malentendu lors du premier confinement avec une disparité entre les conférencier⋅es puisqu'il a été proposé à certain⋅es de travailler alors qu'au final, qu'on ait travaillé ou non, nos heures ont été comptées comme travaillées. Celleux qui ont effectué un travail pendant le premier confinement estiment donc que ces heures devraient être comptées en heures complémentaires.

3) Quelles alternatives ?

Sabrina Soyer présente La Mutuelle. Une mutuelle à la base est un système de mutualisation des revenus pour couvrir les dépenses de santé —> mutuelles crées pendant les années 30 à l’initiative de syndicats, par exemple la mutuelle des métallos — montée par une branche de la CGT — pour compléter les prestations sociales des ouvrier·es. La mutuelle dont il est question ici est un système de mutualisation des ressources ou revenus en vue d’une redistribution solidaire. Cette structure s’est créée pendant le confinement pour répondre à une situation d’urgence au départ. Il s'agit d'un espace pour parler de nos rapports à l’argent de façon explicite. La mutuelle permet d’être moins dépendant⋅e des aides institutionnelles et de l’état, très insuffisantes actuellement. C’est aussi un espace pour s’échanger des savoirs/compétences et du matériel (pas seulement un espace pour mettre en commun du capital économique mais aussi du capital culturel). Sa vocation (si elle est amenée à se pérenniser) —> ouvrir les imaginaire liés à l’argent. La mutuelle est constituée de 17 personnes qui se réunissent 1 à 2 fois par mois. Au départ, il s’agissait de réunir des personnes qui continuaient à percevoir des salaires ou leur intermittence (même pendant le confinement) et de personnes qui avaient de faibles revenus voire pas de revenus. Important qu’il y ait au départ de la constitution d’une mutuelle des personnes avec des situations financières différentes, et si possible, une majorité de personnes qui possèdent des revenus fixes / ont des économies, que de personnes à revenus précaire ou sans revenus (sachant que la situation peut évoluer, les personnes qui donnent peuvent devenir des personnes qui ont besoin/demandent de l’argent à la mutuelle). Cette mutuelle est un appel aux personnes à revenus stables et ou bon revenus (professeur·es titularisé·es/intermittent·es /directeur·rices de structures dont le statut n’est actuellement pas menacé) à se rapprocher des personnes à revenus précaires / sans revenus pour monter d’autres mutuelles.
En bref comment ça fonctionne :
1. Chaque membre fait un tableau de ses dépenses/recettes sur 4 mois. Les recettes c’est : salaires /revenus/aides (RSA, chômage, pensions, économies). Les dépenses, c’est les incompressibles : loyer/charges/téléphone/soins médicaux non remboursés => tout ça pour rendre transparent au groupe la situation financière de chacun⋅e.
2. Faire plusieurs réunions où chaque membre va essayer d’expliciter son rapport à l’argent : qu’est-ce que l’argent représente pour elle/lui, considère-t-elle/il qu’elle en a beaucoup/peu/pas assez ? D’où vient son éducation à la dépense ou à l’économie ? Faire en sorte de mettre les membre le plus à l’aise possible, pas de jugement, écoute attentive pour libérer les récits lié au milieu d’origine. Essayer aussi d’évoquer les attentes, les projections liées à l’argent. Ces réunions permettront de se mettre en confiance dans le groupe, savoir si les opinions politiques avec les membres sont compatibles avec les siennes, dépasser le jugement moraux et les tabous liés à l’argent, déculpabiliser les personnes qui ont besoin et demanderont de l’argent à la mutuelle.
—> Au terme de ses réunions différents systèmes de redistribution peuvent être envisagés.
Le système de cotisation = par ex 10 % des revenus de chaque personnes pouvant donner (10 % après déductions de toute charges/dépenses incompressibles) sont mis en commun, et ensuite redistribués aux personnes qui ont besoin/demandent de l’argent. Les personnes qui demandent, dans l’idéal, spécifient le montant dont elles sont besoin. Elles peuvent demander à visage ouvert pendant les réunions, ou le faire de façon anonyme (on met une boite à l’extérieur de la salle de réunion où les demandeur·euses déposent des papiers indiquant des sommes, à la suite de ça on met une boite pour récupérer l’argent).
Le système du don libre (c’est comme ça que fonctionne la mutuelle que je connais) = pendant la réunion on commence par un tour de table sur les situations de chacun·e = besoins/gains/nouveaux jobs/pertes d’emplois/besoins matériel ou manque d’infos/formations. Les membres qui donnent en fonction de ce tour de table et de ce qu’ils peuvent donner, les personnes qui demandent peuvent formuler ou réviser leur montants. Pareil les demandes/dons peuvent se faire à visage découvert ou anonymement comme décrit plus haut.
Avec tout ce qu’il reste de l’argent (après la redistribution) on constitue un matelas, qui pourra servir de fond de sécurité pour les coups durs (amendes/pertes d’emplois, dépenses médicales etc…).
Sinon le matelas peut aussi être utilisé pour dépanner une personne extérieure à la mutuelle ou fournir une caisse de grève = tous les scénarios sont possibles, l’idée étant de faire évoluer la mutuelle en fonction du contexte qui l’entoure et des désirs des membres qui la constitue.
Il n'y a pas encore de brochure sur cette mutuelle mais une émission sur Radio Galoche dimanche prochain à 19h pour présenter plusieurs exemples de mutuelles en cours en France.

La Mutuelle de Lyon semble avoir des document d’information (à venir). Une participante à la réunion parle aussi de cette initiative que lui évoque la mutuelle.

Emmanuel présente le système des SCOP. Avec des camarades iels sont en train de se constituer en société de type SCOP. Iels sont travailleur·euses en production et régie. La SCOP permet de faire face aux conditions de travail temporaire car actuellement avec les sociétés qui jouent le rôle d'intermédiaire entre le·la travailleur·euse et l'employeur, le·la travailleur·euse n'a pas le choix de sa rémunération ni de sa prestation. La SCOP (Octopus) est donc une société qui propose un contrat tripartite qui fonctionne comme une agence d'intérim. Pour être une SCOP, il faut que 51 % des associé·es soient des travailleur·euses. Le principe est 1 personne = 1 voix. C'est une gestion de société qui est démocratique et qui permet d'éviter les écueils du travail indépendant. Il y a des initiatives similaires chez les livreurs à vélos. Cela permet de défendre des valeurs sociales et environnementales.

Conclusion

Nous avons pu voir ensemble que les aides proposées aux artistes-auteur·rices, aux précaires de l'emploi sont bien insuffisantes et se basent sur un modèles de très petite entreprise. Or, nous ne sommes pas des très petites entreprises mais des intermittent·es de l'emploi.
Le problème principal que posent ces contrats précaires c'est l'impossibilité de s'investir dans son travail, l'impossibilité de se sentir légitime, de développer ses savoir-faire. Celleux qui sont en CDI peuvent témoigner de la mise en difficulté pour les travailleur·euses que provoquent ces contrats courts, non renouvelables, avec délais de carence, etc. Autre problème très inquiétant, l'idée que les travailleur·euses doivent des heures à leurs employeurs lorsqu'iels sont contraint·es (par la crise sanitaire) de ne pas travailler. Les institutions, les structures privées, ne veulent pas « payer pour rien ». Cela témoigne d'une dérive très inquiétante de l'économie de marché, le·la travailleur·euse est une marchandise comme les autres, y compris dans le secteur culturel. Cela fait de notre secteur un espace non pas de culture et d'échange de biens symboliques mais un espace de consommation, de loisirs. Nous voulons nous organiser afin de contrer ces logiques capitalistes. Nous voulons également aller chercher l'argent là où il est car il y a beaucoup d'argent dans ce secteur qui n'existerait pas sans nous, les travailleur·euses de l'art. C'est un secteur professionnel trop éloigné du droit du travail. Les structures qui nous font travailler usent de leur pouvoir abusivement. Une prochaine réunion est prévue bientôt pour trouver collectivement des solutions, alternatives, adresses et modes d'organisation.